Séjours à Milos

Publié le par DPEA Architecture & Philosophie

        Le cercle de la vie, comme le cercle de la nature, l’infini, la clôture, le limite entre l’intérieur et l’extérieur, la forme pareille par tous les points des vues. Le cercle, le mot racine du mot Cyclades.

 

      Milos, c'est un “point” dans la carte, d’une valeur architecturale, culturelle et naturelle remarquable, qui change, qui s’évolue, qui s’altère, mais dont l’esprit du passé reste vivant.  

 

  Cyclades Cyclades-Milos

                      Ile-Lieu, Milos

  

«Par rapport à son valeur architecturale, ça pourrait être caractérisée par le simple, le géométrique, le presque primaire et distrait, dans son propre substance universel, diachronique, mais en même temps totalement neuf.

Pour cet art, l’art de l’essentiel, le recours à l’idéal classique, c’est un témoignage de décadence. L’imagination moderne se libère, elle se lève jusque les âges infantiles de la civilisation, elle se charme par la mythologie, par l’art primitive religieuse, par la préhistoire, par la forme archaïque simple, mais aussi par l’expression contemporaine des éléments diachroniques du passé, aux œuvres anonymes des maçons traditionnels et des artisans laïques (populaires).» 1

 

Art de Cyclades Architecture religieuse Croquis Le Corbusier(1911)

   Art de Cyclades-Architecture- Croquis de Le Corbusier(1911)

  

«Heidegger dans le livre Séjours-Aufenthalte décrit son voyage en Grèce en visant d’aborder les lieux d’une manière philosophique. C’est quoi une description philosophique?

 

La description du philosophe évite le sens commun de l’histoire et de l’esthétique et ça peut être un scandale par rapport aux historiens et aux esthéticiens, comme elle ne complice pas les critères de l’objectivité. Quand même la base de l’objectivité contemporaine c’est une question de la philosophie.

La narration de Heidegger cherche une sortie par l’époque de l’interprétation technique de la nature. Il ne considère pas le lieu comme “paysage” mais comme quelque chose de poétique, de philosophique. Il refuse l’interprétation de l’objectivité qui domine à nos jours, selon laquelle la technique est considérée comme le but de la connaissance. Un sens qui définie le lieu comme paysage et limite la philosophie à l’étude de la science, en l’isolant par la poésie.»  2

 

     La description du lieu peut dépendre de la langue utilisée. Comment est-ce que la langue, le patrimoine linguistique, le logos décrit un lieu? Est-ce que le dialecte utilisé à Milos aidera à une description philosophique plus “adéquate” à ce lieu ?

Est-ce que les particularités linguistiques qui existent jusqu' à nos jours à Milos, nous invitent à décrypter des idéologies et des modes de vie du passé ? Est-ce qu’ils existent seulement à l’expression orale ? Quelle est la relation entre la langue locale et l’architecture dominante ?

 Architecture Particulière Syrmata Architecture Particulière  « Syrmata »

 

     La première vue de l’ile par le bâteau provoque des sentiments particuliers. C’est la sensation interne de la mer, de l'eau, du familier. C’est l’attente de la liaison de l’homme avec la nature, une procédure qui se passe rarement dans les villes, et qui se justifie par la topographie, la géomorphologie et par l’échelle humaine.

Cette échelle humaine qui se devient encore plus forte dans un lieu isolé, au milieu de “nulle part”, de la mer ; la mer qui est depuis toujours là, mais qui est toujours en mouvement, et elle “observe” les changements de l’île. Est-ce que l’ile a vraiment des limites?

 

« Mais c’est quoi le paysage? Pour celui qui considère le soleil sur la mer que c’est le paysage, la vie et le mort se semblent faciles. Mais pour l’autre, c’est le miroir de l’immortalité, c’est la durée. Une durée que seulement sa lumière éblouissante ne te laisse pas la concevoir.» 3

        

      Le lieu comme notion est limité, c’est originel, naturel (physiko, physis=naissance), c’est l’espace pur, avant d’être touché par l’homme. Le lieu se caractérise par la géographie, la géomorphologie, par la présence de l’homme, par les odeurs de la nature, par le climat, par ses limites.

On utilise souvent les mots endroit, région, espace, mais on utilise rarement le mot “lieu” parce que c’est une notion personnelle. Ça peut être là, ou on est née, là ou on a vécu pendant notre enfance ou là d’où nos origines viennent. On hérite le lieu, et le lieu hérite l’homme.

  

Plaka, Milos, échelle humaine les maisons sortent de la te

Plaka, Milos, échelle humaine, « les maisons sortent de la terre »

  

      L’origine se réfère au lieu et au lien. Se réfère à cet héritage du lieu. Est-ce que peut un lieu être personnel même si on n’a jamais vécu là, ou on ne l’a jamais visité?  

Un lieu peut être personnel même si on ne l’a jamais visité en cas ou c’est un lieu imaginaire. Il est personnel, parce que la racine, le fil qui relie l'homme avec lui, c'est la pensée, qui a “crée” ce lieu.

 

« Heidegger nous rappelle qu’un être “pensant”, c’est d’ abord un habitant. On s’identifie d’un lieu. Tant que penseur, je ne m’appartiens pas dans un lieu, mais on s’appartient de tout ce qui s’entourent. Mais tant qu’habitant on se sent la familiarité, l’in-familiarité, et tout ça sans penser. L’habitant crée le lieu par œuvres et par paroles, il “habite poétiquement”. Le poète ne considère pas. Il se sent et il s’en prend soin. » 4

 

     L’habitant (usager-créateur), le touriste (récepteur) et le poète (récepteur+transmetteur) consistent la référence commune du lieu. Ils sont les références d’une œuvre architectural aussi. 

 

« Le touriste est par définition quelqu’un qui effectue une tournée et celle-ci passe par différents stations. S’il parle en un certain sens d’arrêts, Heidegger, lui, le fait évidemment pour privilégier l’installation sur le passage. Avec son radical halte, du verbe halten, tenir, se tenir, Aufenthalt suggère un suspens dont séjour ne donne malheureusement pas idée. Par là, le terme n’est sans doute pas sans un certain rapport avec le grec επιστήμη car le savoir, que désigne ce mot pour Platon et Aristote, requiert de se poster, se tenir à la bonne place pour “voir clair dans ce qui est”. Le “séjour” en question ne se réduit pas à une simple interruption dans un déplacement mais il se charge d’attente, d’étonnement, de posture d’aguet. Être au monde, ce n’est pas simplement être quelque part, c’est y prendre place, y trouver sa place.

Heidegger traduit “ethos (ήθος) signifie séjour.» 5 

 

    Heidegger  dans le livre Aufenthalte, fait un dialogue avec lui-même en passant par la narration littéraire à l’analyse philosophique et le contraire. Pendant son séjour, il veut pas être déçu par l’image qu’il aille voir et dont il avait déjà rêvée. En faisant face aux changements qui ont altéré le paysage, ou aux habitudes des touristes, pense au présent et pourquoi est-ce que “les dieux et avec eux la gloire du passé sont partis ?”. Il préfère parfois à rester dans le bateau au lieu de participer aux visites organisés.  



Mais les trônes, où ?les temples, et où les [récipients,

Où de nectar remplis, au plaisir de dieux le chant ?

Où, où parlent-ils donc par éclairs les aphorismes à [lointaine portée ?

                  Delphes sommeille et où bruit le grand destin ? » 

Hölderlin, Pain et Vin, 4e strophe

                       

                           

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 Ancien Théâtre de Milos    

 

« Ce “où ?” s’ élevant du fond d’un grand abandonnement, appelant douloureusement-que cherche-t-il en questionnant? Qu’a en vue le poète en appelant? La fuite des dieux et, de pair avec elle, la désolation s’abattant sur l’habitation des hommes, le vide hantant leurs œuvres, leurs actions frappées d’inanité. Ici le regard s’aventure en direction de la Grèce en son être été mais il n’a pas pour le soutenir d’expérience effective du monde des iles.

Quant à nous, à cette heure, écoutons-nous encore cet appel? » 6

 

     L’attente du poète, c’est un espoir à un avenir basé de l’ancienneté, du début. Aux idéologies et aux valeurs propres, pures. Un espoir diachronique et à nos jours, indispensable.

 

Aphrodite de Milos Le drame économique en Grèce le changement actuel d’un

                                                         L’Aphrodite de Milos

«A-t-on jamais rendu plus simplement le silence en tant que spatialité d’un espace qui est celui du Dasein ?»

(Heidegger M., « Séjours: Aufenthalte », p.29)

  

«Au retour, tandis que nous roulions vers le port, l’idée se dégagea que, avec l’assaut éhonté du tourisme, une puissance étrangère étend son réseau de commandes et encore se voiler la face devant ce qui est que de vouloir faire abstraction de cette frénésie de voyage qui ne nous laisse pas de choix, au lieu de prendre en considération le gouffre qui s’étend entre le passé et le présent afin de reconnaitre le destin qui y fait loi.

La technique moderne et l’industrialisation scientifique du monde dont elle s’accompagne s’apprêtent, avec ce qu’elles ont d’irrésistible, à effacer toute possibilité de séjours.»  7

 

Miranda Pagoni

 

Le blanc, la lumiere  L architecture s'harmonise avec le paysage et l'homme se se 

 

 

 

1.TOURNIKIOTIS Panagiotis « Les iles de la mer Égée, Architecture », éd. Melissa, Athènes, 2003,p.70

2.FARACLAS George, traducteur de « Séjours : Le voyage en Grèce » HEIDEGGER Martin,éd. Kritiki,  Athènes, 1998, p. 9  

3.ELYTIS Odysseas, «Le Petite Nautile», éd. Ikaros, 1985,p.117 

4.FARACLAS George, traducteur de « Séjours : Le voyage en Grèce » HEIDEGGER Martin,éd. Kritiki,  Athènes, 1998, p. 15 

5.VEZIN François, traducteur de « Séjours : Aufenthalte » HEIDEGGER Martin, éd. Du Rocher, France 1992, p.97 

6.HEIDEGGER Martin, « Séjours : Aufenthalte », éd.Du Rocher, France,1992, p.9 

7.HEIDEGGER Martin, « Séjours : Aufenthalte », éd.Du Rocher, France,1992, p.81 

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