Mais c'est quoi, le rapport avec l'architecture ?

Publié le par DPEA Architecture & Philosophie

Lorsque j’annonce que je travaille sur les camps de réfugiés, la réaction est souvent « mais quel est le rapport avec l’architecture ? ». Cette question m’a toujours surprise. Je travaille sur des endroits où des gens vivent souvent longtemps, où des infrastructures sont installées, il ne pouvait pas n’y avoir aucun rapport avec l’architecture. N’est-elle pas liée de façon intrinsèque à l’idée même d’humanité ? Des hommes peuvent-ils vivre dans un endroit pendant plusieurs années sans qu’il y ait architecture ? Etait-ce le camp qui posait problème ? Pourtant, je pense que si j’avais annoncé que je travaillais sur l’architecture et l’aménagement des camps de vacances dans les années 60, l’empreinte des camps d’extermination nazi dans les mémoires et le paysage, le plan du camp romain comme modèle urbain... tout le monde aurait vu un rapport à l’architecture. Est-ce la notion de provisoire, inhérente à l’idée de camp, qui déclenche ces réaction ? Surement pas, on a suffisamment vu fleurir de projets d’architecture éphémère  pour repousser cette idée.
Ce n’est donc ni le mot « camp », ni la notion de provisoire qui lui est liée qui empêchent l’architecture. Si ce n’est pas le camp, c’est donc le réfugié qui pose problème. Le terme de réfugié est avant tout un statut fixé par la convention de Genève de 1951. Un statut temporaire comme il en existe tant : salarié, chômeur, RMIste, retraité, lycéen, étudiant... Notre vie est rythmée de différents statuts, plus ou moins durables et accidentels. Mais on peut déjà faire une remarque : le « camp de réfugiés » fait plus que relier un espace à un statut, il les entremêle jusqu’à les faire coïncider. Cependant, ce n’est pas le seul : une maison de retraite ou une résidence étudiante possèdent les mêmes qualités. Y aurait-il donc un statut particulier qui, joint à un espace particulier, éjecterait tout un groupe de personnes hors de la sphère de l’architecture ?
Après plus d’un an à travailler sur le sujet, j’ai du mal à me souvenir de ce qu’est un camp de réfugiés pour la majorité des gens. Mais je tente quand même l’expérience. Un camp de réfugié, c’est un endroit dans une zone calme où des gens qui ont vécu une catastrophe peuvent recevoir de l’aide en attendant de pouvoir rentrer chez eux quand la catastrophe sera finie. Que cette définition soit extrêmement simpliste et passablement erronée ne change rien à l’affaire : pour la plupart des gens, un camp de réfugiés est un endroit transitoire de courte durée. C’est un peu le hall d’attente d’une gare où on lit son journal en attendant que son train arrive. Et encore, on arrive sans problème à faire le rapprochement entre un hall de gare et l’architecture. Un mémoire intitulé « le hall de gare comme lieu d’attente » ne soulèverait pas la question de la présence ou non de l’architecture, ne serait-ce que parce qu’une gare est construite... par un architecte. Et si ce n’était pas le provisoire, le transitoire ou l’attente qui posaient problème, mais le  fait que les camps ne soient pas construits par des architectes ? Ce qui reviendrait à nier la possibilité d’une architecture vernaculaire, ce que personne ne ferait. Est-ce tout simplement que les camps ne sont pas « construits », mais posés ? Pour une majorité de gens, un camp de réfugiés c’est un quadrillage de tentes posées là sans souci de ce qu’est ce « là ». Structure légère et négation du contexte... ces deux notions ne suffisent pas à expliquer une absence d’architecture : une tente peut être perçue comme un objet architectural à part entière et le mouvement moderne ne s’embarrassait généralement pas de contextualiser ses projets. De plus, des architectes ont travaillé sur des abris d’urgence. Et la recherche d’une architecture mobile, facilement montable et démontable, adaptable à tout type de terrain et de climat a travaillé nombre d’entre eux. D’ailleurs je pense qu’un mémoire sur la typologie des abris d’urgence n’entrainerait pas le type de réaction que j’ai rencontré.
Qu’est-ce donc qui pose problème ? Pourquoi ne voit-on, à  première vue, pas de rapport entre un camp de réfugiés et l’architecture ? Ce n’est pas le camp, ni un statut provisoire, ni le provisoire lui-même, ce n’est pas la coïncidence entre un statut et un endroit géographique, ce n’est ni l’attente ni le transitoire, ce n’est pas l’absence d’architecte ou de contexte, ce n’est pas la légèreté des installations ou l’abri qui en constitue la base... Alors quoi ? Serait-ce tout cela mis ensemble ?
Et puis d’abord, qu’est-ce que l’architecture ? Si on se réfère à un de ses mythes créateur, elle vient de la cabane primitive. Elle est donc fortement liée à l’idée d’ « habiter ».  Habite-t-on un camp de réfugiés ? Si je reprends l’analogie donnée plus haut, cela reviendrait à demander « habite-t-on un hall de gare ?». Qui me répondrait « oui », même si un hall de gare abrite toute une série d’usages et de pratiques qui, d’une certaine façon, y habitent. Mais passeriez-vous 10 ans dans un hall de gare ? Car dans les faits, la plupart des camps de réfugiés, notamment ceux créés en parallèle à un conflit armé, s’installent dans la durée.
Si, pour le camp de réfugiés, le rapport à l’architecture  n’est pas évident, c’est peut-être dû à un interdit d’habiter qui y est la première règle. Et c’est sans doute ce qui m’a poussé à répondre la dernière fois qu’on m’a fait la remarque : « c’est peut-être justement là qu’est le problème ».

 

 

Par Anna

 

PS : et parce que ce blog est beaucoup trop sérieux, je vous propose de regarder cette vidéo :

 


 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
I
Ce sujet m'intéresse beaucoup, je me pose quand même la question du problème financier là dedans. Construction = argent, sauf si des alternatives de financement ou au financement sont trouvés. La question est alors plus, comment trouver les moyens d'intégrer de l'architecture (dans le sens qualité je pense) dans les camps ? qu'en penses tu ?
Répondre